Chroniques

Comancheria
Sauce aigre douce


Par Hubert Charrier 9/12/2016

Depuis leur première collaboration, Nick Cave et Warren Ellis bâtissent une œuvre étonnamment cohérente. The Proposition, La route, Des hommes sans loi ou L’assassinat de Jess James par le lâche Robert Ford, inlassablement, les deux musiciens structurent et affinent l’édifice d’un seul genre, à coup d’accords étouffants. Un style minimaliste devenu marque de fabrique auquel n’échappe pas Comancheria, western contemporain de David Mackenzie.

Un vieux ranger à l’aube de la retraite, taciturne et raciste, du thé glacé, une serveuse aussi chic qu’une racoleuse au matin, le Texas de Comancheria est un tantinet cliché. Derrière ce vernis volontairement tape-à-l’œil, David Mackenzie dresse un portrait acide de la société capitaliste post 2008. Pas de bons, pas de méchants, pas de morale mais une furieuse envie de pendre les banquiers, haut et court et d’arroser d’essence les planches à billets.

Un savant mélange

Cette ambiance pesante et poisseuse, la musique de Nick Cave et Warren Ellis n’y est pas étrangère. Il y a d’abord cette attaque tenue à une corde, qui ouvre l’album et tient en haleine tout du long, parfois en s’épaississant, bien plus souvent en s’approchant dangereusement de la rupture. Pour épauler cette nappe, quelques succinctes notes au piano, parfois à la basse, occasionnellement une voix. Cette structure réduite est la matière première de Comancheria. Mama’s Room, Texas Midlands, Casino, Lord of The plains, autant de morceaux qui collent à la peau de nos deux apprentis braqueurs, Toby et Tanner.

Intelligemment, cette texture sonore étouffante est contrebalancée dans le film comme dans l’album par des morceaux folk disséminés avec soin. Dollar Bill Blues, You ask me too, Sleeping on the black top, Blood Sweat and Murder, Outlaw State of Mind, des bouffées d’air bienvenues, faisant écho à la narration et évitant l’écueil des chansons éculées.

Fort de ce fragile équilibre, cette alliance entre musique originale et musique préexistante autorise une intrusion moins abrupte dans l’univers parfois cloisonné de la musique minimaliste. Après une petite heure d’écoute, sans nous assommer, le mélange fait son effet, l’ambiance suintante de ce Texas désenchanté s’infuse pernicieusement et durablement dans notre esprit.

Comancheria, une bande originale à découvrir sur le label Milan Records.