Chroniques

Red Sparrow
Agent double


Par Hubert Charrier 6/07/2018

Après une grande parenthèse consacrée à la mésestimée saga Hunger Games, Francis Lawrence revient aux affaires pour Red Sparrow, film d’espionnage à l’ancienne, glacial et distant, aux réminiscences de guerre froide, de parapluies bulgares et de chaussures-poignards. Fidèle du réalisateur depuis Je suis une légende, James Newton Howard puise, dans cette adaptation du roman de l’ancien agent Jason Matthews, une matière forte inspirée autant par la musique de Pyotr Ilyich Tchaikovsky que par les scores hitchcokiens de Bernard Herrmann.

L’espionnage pur, dépouillé, presque dénué d’action, reste au cinéma un genre à part entière, en plein essor dans les années 60-70 et marqué au fer par quelques films d’exceptions. Conversation secrète, Les trois jours du Condor et même Bons Baisers de Russie, autant d’illustrations de la paranoïa ambiante, alimentée d’un côté par les scandales, Watergate en tête, de l’autre par la lutte sourde que se livre sans faiblir les Etats-Unis et l’URSS. Malgré la chute du mur et l’effondrement du bloc soviétique, la relation Est-Ouest a continué d’alimenter largement les fantasmes, nourrissant ici le travail de James Newton Howard.

Mise en bouche royale

Commençons par le somptueuse et copieuse Overture de Red Sparrow, une œuvre à part, héritière des élégants et romantiques ballets russes, qui accompagne à point, dans un montage alterné, une rencontre en catimini dans un parc moscovite et les arabesques et entrechats d’une Jennifer Lawrence en tutu. Une mise en bouche qui mérite en soi le déplacement. Miroir de cette introduction, le End Titles prolonge l’expérience et inverse le discours, l’attaque se retrouvant ici à la toute fin.

Est-ce l’héritage des scénarios à tiroirs hitchcockiens? L’autre grande influence de cette bande originale se nomme bien sûr Bernard Herrmann, qui vient hanter ici de nombreuses pistes. La filiation avec certaines œuvres du compositeur New-Yorkais résonne régulièrement, on pense évidemment à Vertigo (Blonde Suits You, Ticket to Vienna, Telephone Code), surtout dans sa veine la plus romantique, mais aussi parfois au son strident de Psycho (Take off Your Dress, Searching Martha’s Room). Ce ne serait pourtant pas rendre justice au score que de le résumer à ses multiples influences. Red Sparrow baigne largement dans le jus de son créateur et l’une des plus jolies pistes de l’album, Didn’t I Do Well ?, offre de manière très sûre et familière, un final haletant et cuivré, encadré par le chœur et des multiples montées aux cordes. Une approche différente mais tout à fait pertinente pour l’autre grande scène du film.

Tout n’est pourtant pas parfait et quelques morceaux beaucoup plus génériques (Training, Anya Come Here, Switching Disks) alourdissent sérieusement l’ensemble. Plus serré, l’album aurait indubitablement gagné en efficacité. L’édition ne semblant plus préoccuper grand monde, on se retrouve avec une impression trompeuse de mollesse pour une galette qui suit pourtant la trame, c’est toujours ça. Les plus exigeants sabreront eux-mêmes ces indésirables, les autres, entre deux remontrances, trouveront largement leur compte dans ce Red Sparrow. 

Red Sparrow, une bande originale à retrouver en physique chez Sony Classical