Chroniques

The Last Jedi
La force tranquille


Par Hubert Charrier 19/03/2024

Tel un bon vieux soldat, usé et las, mais tenu par le devoir, John Williams enquille sans broncher, ou presque, ses derniers Star Wars. Une tâche rendue pénible par la trame, d’abord, avec la suppression méticuleuse et régulière d’un personnage clé par épisode, mais aussi et surtout par la disparition réelle et brutale de Carrie Fischer. Dans cette nouvelle trilogie, une par une, les pièces vacillent et tombent, une époque s’évanouit et notre compositeur le sait, l’épisode IX marquera pour lui et à 87 ans, la fin d’un grand chapitre, le plus emblématique peut-être de l’histoire de la musique de film.

La qualité intrinsèque mais aussi l’aura et la dimension affective ont rendu complexe le jugement et l’analyse des compositions de John Williams. Oui, le musicien est techniquement au dessus du lot, il serait bien audacieux de prétendre le contraire. Son travail regorge de richesses et fascine par le détail et le soin apportés à l’écriture, la finesse de l’orchestration. Chaque nouvelle écoute dévoile des perspectives inconnues, d’innombrables ramifications qui rendent le plaisir instantané et durable. C’est le cas, bien sûr, du triptyque original Star Wars mais aussi de la prélogie, qui, loin de se satisfaire d’un simple recyclage, offre une toute nouvelle épaisseur à la saga, une autre couleur. La cité sous-marine d’Otoh Gunga, l’invasion des droïdes, l’épique duel aux sabres, la romance de L’Attaque des clones, l’affrontement tragique entre Anakin et Obi-Wan, que l’on apprécie ou non les films, le génie musical de l’Américain y transpire à grandes gouttes.

La Force est avec lui

Malheureusement, le virage amorcé par Disney avec The Force Awakens semblait avoir tari quelque peu l’imagination et l’entrain du compositeur. L’attachante Rey bénéficiait, certes, d’une attention particulière et donnait du cœur à l’ensemble mais le travail thématique apparaissait en retrait, moins saignant, plombé sûrement par une histoire mollassonne, au fort relent d’Episode IV. The Last Jedi ne rabat pas les cartes mais se veut plus appétissant, reprenant le fil où nous l’avions laissé, exploitant à profit les efforts de son prédécesseur. Ahch-To Island en est le premier exemple. Un thème amorcé brièvement, en clôture de The Force Awakens et déployé largement ici, brassant au passage le motif de La Force et de Rey.

Si musicalement, Snoke et Kylo Ren peinent toujours à convaincre (Revisiting Snoke), la rébellion apporte son lot d’émotions et de nouveautés. Fun with Finn and Rose permet d’introduire en douceur un nouveau personnage, Rose et donc un autre leitmotiv. Un air que l’on retrouve ensuite très fréquemment, dans The Rebellion is Reborn, une des plus belles pistes de l’album mais aussi The Fathiers, morceau renouant avec les passages cuivrés, héroïques et naïfs de E.T ou Hook, les enfants exploités de Canto Bight tirant logiquement sur cette corde. Dans un tout autre style, The Battle of Crait est une énième leçon de virtuosité et de maestria, les citations s’enchaînant à une facilité et une vitesse délirantes, accompagnant frénétiquement l’action d’une des plus impressionnantes scènes du film. La Force, la rébellion, Rose, Rey et une jouissive incursion du Tie Fighter Attack, pas le temps de se poser, tout est d’une précision diabolique. Certaines choses ne changeront pas, sur ce point, Williams est indétrônable.

Paradoxalement, le reproche principal vient peut-être de ces réminiscences de morceaux désormais cultes. Oui, la nouvelle trilogie abonde dans ce sens, se référant sans cesse au passé, resserrant souvent son intrigue autour du trio Han, Luke et Leïa mais les thèmes des épisodes fondateurs sont si profondément inscrits, que ces incursions ternissent parfois l’ensemble. Pourtant, pas de doute, The Last Jedi marque, pour les béophiles, l’année 2017 et le plaisir de retrouver John Williams reste toujours aussi immense et sincère. Reconnaissons juste, dans cet enthousiasme partagé, que cette nouvelle composition ne fera pas date, n’en déplaise aux plus mordus.

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